figures et diagrammes

Figures et Diagrammes

Les photographies d’Audic Rizk semblent parfois des peintures, cependant ce résultat pictural n’est que le fait de la photographie, l’écriture d’une lumière qui vient s’inscrire sur un papier photosensible, sans retouche ni manipulation sur ordinateur. De ce fait, il nous a semblé intéressant de nous rapporter au livre de Gilles Deleuze, « Francis Bacon – Logique de la sensation »,  pour y comprendre certains mécanismes opératoires qui rapprochent ces photographies de la peinture contemporaine. Dans leur style bien à eux, les artistes Audic et Rizk ont su dépasser la figuration pour atteindre à une forme plus sensible et moins illustrative comme peut l’être la Figure.

La Figure selon Bacon est la forme rapportée à la sensation, c’est à dire le contraire de la forme rapportée à l’objet qu’elle est censée représenter. Or pour atteindre à la Figure, le peintre doit nécessairement passer par une chute, un chaos, une catastrophe survenue sur la toile, qui vient déboussoler les données figuratives et probabilitaires qui pré-occupaient l’espace de la toile. Cette catastrophe s’inscrit dans ce que Bacon appelle le diagramme. Ce diagramme est l’intrusion d’un monde dans le monde visuel de la figuration. Le diagramme s’installe par la main du peintre qui vient s’interposer pour briser l’organisation optique souveraine. Par des traits, des marques ou des taches, irrationnels, involontaires, accidentels, libres, au hasard, il trace des possibilités de fait, il vient suggérer une autre lecture que la simple figuration. Dans le cas des photographies d’Audic Rizk, ce n’est pas la main de l’artiste qui joue ce rôle dévastateur, mais plutôt le temps ; ce fameux temps d’obturation qui vient brouiller les pistes d’une image documentaire. Un temps d’obturation suffisamment long pour ne pas être simplement flou, et suffisamment court pour ne pas tout dévaster en immergeant la photographie dans un noir complet. A ses côtés, le refus d’utiliser le trépied apporte sa part d’aléatoire au diagramme, car la main tenant l’appareil photographique n’est pas stable à 100%, de légers micromouvements viennent apposer leur sceau sur l’ensemble de la prise de vue. Ce diagramme que Bacon disait pourtant si manuel, attaché au corps de l’artiste, la photographie peut le retrouver à sa façon en usant de ses modes de captation. Le reste est laissé à  la lumière qui vient s’inscrire à folle allure tout du long de l’obturation.

Le diagramme est ainsi l’ensemble opératoire des lignes, des zones, des traits et des taches asignifiants et non représentatifs. L’opération du diagramme, sa fonction dit Bacon, est de suggérer. Ces traits et taches doivent d’autant plus rompre avec la figuration qu’ils sont censés nous donner la Figure.  C’en est fini de l’organisation optique, il faut donner à l’œil une autre puissance, un nouvel objet qui ne soit plus figuratif. C’est alors l’effondrement des coordonnées visuelles, un nouvel abîme qui ouvre sur un germe d’ordre ou de rythme.

Dans les photographies de villes le diagramme a chassé l’image documentaire pour nous ouvrir à un nouveau regard, où l’œil optique s’est fait haptique, cherchant à saisir la forme sensible du tangible, découvrant la sensation sous la narration, l’illustration. Dans les photographies de sport, le diagramme se fait plus discret, son mouvement va de la structure matérielle vers la Figure. Le décor est pris dans un mouvement par lequel il s’enroule autour de la Figure, il enveloppe et emprisonne la Figure., et la Figure ne devient telle que par ce mouvement  où elle s’enferme et qui l’enferme. Ici nous ne voyons plus l’athlète dans son individualité, qui pourrait dire le nom de tel ou tel sportif, tous sont devenus des Figures anonymes,  la compétition n’a plus lieu d’être, le sport est présent dans sa forme la plus universelle, loin de toute considération objective et individualiste.  La pureté de l’effort est saisie à travers la Figure, sorte de fantôme évanescent ou athlète émacié dont la chair s’est perdue dans l’élan du mouvement. Le sport dans les photographies d’Audic Rizk se conjugue avec l’esthétisme athlétique, l’esprit est serein dépossédé de toute forme de compétition, le corps est à nu, parfois jusqu’à sans chair. On y retrouve la Figure magistrale du sportif transcendé dans son effort, aussi simplement qu’héroïquement.